Voici comment l’intelligence artificielle permet de combattre les pires venins de serpents



Nous vivons le début d’une révolution scientifique dans le développement de nouveaux médicaments, qui sera probablement équivalente à celle de l’utilisation de l’ARN pour la création de vaccins. Un exemple de cette révolution: grâce à l’intelligence artificielle, on est parvenu à créer des fragments de protéines qui se lient aux composantes du venin de plusieurs serpents et bloquent leurs effets neurotoxiques.

Dans un article du New York Times, on racontait récemment l’histoire assez incroyable d’un homme du Wisconsin qui s’était fixé comme objectif de devenir immunisé contre les morsures des serpents venimeux (1). Pour y arriver, il s’est délibérément injecté, pendant 18 ans, plus de 600 doses sublétales de venins provenant de 16 types de serpents très dangereux, incluant ceux de la famille des élapidés comme le cobra, le mamba noir, le taïpan et les bongares, et a testé par lui-même l’immunité contre ces venins en se laissant mordre par la suite plus de 200 fois par ces serpents.

Une analyse récente du sang de cet individu hyperimmunisé a permis d’identifier deux classes d’anticorps monoclonaux qui neutralisent un large éventail des neurotoxines présentes dans ces venins (2).

Lorsque combinés avec le varespladib, un inhibiteur d’une autre composante des venins qui détruit la membrane des cellules, ces anticorps semblent procurer une protection totale contre les morsures des 19 espèces de serpents les plus venimeux de la planète (2).

Étant donné que les morsures de ces serpents sont responsables chaque année d’environ 100 000 décès à l’échelle du globe, l’invention d’un antivenin universel pourrait donc avoir des répercussions très importantes.

La révolution de l’intelligence artificielle (IA) en biochimie

Une autre approche, plus scientifique (et beaucoup moins risquée) pour développer des antivenins, est d’utiliser la puissance de l’intelligence artificielle.

Certaines formes actuelles d’IA comme les agents conversationnels (les chatbots, comme ChatGPT) sont controversées, parce que même si elles permettent de réaliser en un rien de temps des tâches qui prendraient plusieurs heures à un humain, elles ouvrent également la voie à une foule de problèmes comme le plagiat, la désinformation, la fraude et même la création d’informations totalement fausses (les fameuses hallucinations générées par l’IA).

En biochimie, en revanche, il n’y a pas de controverse: l’IA est de loin la percée scientifique la plus importante qui a été réalisée au cours des dernières années. Car, contrairement à l’ADN qui présente toujours une structure en double hélice, chaque protéine possède une configuration tridimensionnelle bien précise, la structure des enzymes protéiques dictant leur fonction.

Pour développer des médicaments qui sont des inhibiteurs de ces fonctions, il faut donc comprendre très précisément comment la protéine est repliée dans l’espace, ce qui est infiniment complexe.

L’IA vient à la rescousse, grâce au développement d’un système d’apprentissage automatique (machine learning) nommé AlphaFold, qui est capable de prédire la structure tridimensionnelle (3D) des protéines.

Pour saisir l’ampleur de cette réalisation, récompensée par l’attribution du Nobel de chimie l’an dernier, une protéine typique peut en théorie adopter un nombre effarant de configurations, de l’ordre de 10 à la puissance 300 (soit 10 suivi de 300 zéros), si bien que si on testait aléatoirement chacune d’entre elles à raison de plusieurs millions d’essais par seconde, il faudrait plus de temps que l’âge de l’univers pour déterminer la bonne configuration.

Cependant, en utilisant les systèmes d’apprentissage automatique comme AlphaFold, qui sont conçus pour apprendre et s’améliorer de manière autonome lorsqu’exposés à de grandes quantités de données, on arrive à prédire correctement (et rapidement) la structure 3D de plusieurs milliers de protéines. Pour les biochimistes, c’est l’équivalent de la découverte du Saint Graal!

L’intelligence artificielle contre les venins de serpent

Certaines variations plus récentes de l’apprentissage automatique sont également susceptibles de révolutionner la pharmacologie en créant de nouvelles protéines pour bloquer l’action de protéines impliquées dans plusieurs pathologies.

Un exemple de cette approche est le design de mini-protéines qui possèdent la faculté de se fixer très solidement à certains endroits névralgiques de la structure 3D des principales toxines du venin provenant des serpents élapidés (3).

Cette interaction semble neutraliser les effets neurotoxiques du venin de ces serpents, car, lorsque les chercheurs ont exposé ces mini-protéines avec les toxines et injecté aux souris une dose normalement mortelle, les animaux ont été totalement protégés.

Dans des expériences reproduisant une morsure de serpent, les chercheurs ont administré les deux mêmes mini-protéines 15 minutes après l’injection de doses mortelles de toxines, et tous les animaux ont survécu.

Il est aussi intéressant de noter que ces mini-protéines sont très stables et ne nécessiteraient donc pas de réfrigération, contrairement aux anticorps monoclonaux qui sont très fragiles, et cette propriété pourrait s’avérer cruciale pour leur utilisation dans les pays tropicaux, où sont concentrés les décès liés aux morsures de serpent.

La connaissance de la structure tridimensionnelle des protéines est un élément clef du développement de nouveaux médicaments, dans tous les secteurs de la médecine, car la majorité des médicaments sont des molécules qui ciblent les protéines que sont les enzymes, ces catalyseurs essentiels du monde vivant, de véritables nanomachines qui réalisent, à l’échelle moléculaire, les fonctions essentielles au maintien des fonctions vitales.

La révolution IA en biochimie est en marche et il n’y a aucun doute qu’on verra au cours des prochaines années une avalanche de nouvelles avenues thérapeutiques qui découlent directement de cet autre exemple de la capacité inventive du génie humain.

Références

(1) Mandavilli A. «Universal antivenom may grow out of man who let snakes bite him 200 times». New York Times, 2 mai 2025.

(2) Glanville J et coll. «Snake venom protection by a cocktail of varespladib and broadly neutralizing human antibodies». Cell, 25 avril 2025.

(3) Vázquez Torres S et coll. «De novo designed proteins neutralize lethal snake venom toxins». Nature 2025; 639: 225-231.


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