Une étude rapporte que les enfants qui consomment peu d’aliments contenant des sucres ajoutés durant leur développement utérin et les deux premières années de leur vie sont moins à risque de développer un diabète de type 2 et de l’hypertension à l’âge adulte.
Les 1000 premiers jours qui suivent la conception de l’enfant, c’est-à-dire la période comprenant le développement du fœtus et ses deux premières années de vie, exercent une énorme influence sur sa santé, autant durant la petite enfance qu’une fois parvenu à l’âge adulte1.
Au cours de cette fenêtre critique, une exposition à des conditions défavorables (mauvaise alimentation, stress chronique, violence, drogues, etc.) affecte les mécanismes moléculaires complexes de l’épigénétique (méthylation de l’ADN et modifications des histones) impliqués dans le contrôle de l’expression coordonnée de plusieurs gènes au cours du développement.
Cette «reprogrammation» de l’expression des gènes peut alors influencer négativement et de façon durable le fonctionnement du corps humain et grandement influencer le risque ultérieur de plusieurs maladies.
Dent sucrée
Plusieurs études ont suggéré que la consommation excessive de sucre durant les premières années de vie pourrait représenter un de ces facteurs qui influencent le risque futur de maladies.
Bien que l’OMS recommande d’éviter toute consommation de sucres ajoutés durant les 1000 premiers jours de vie, la majorité des enfants nord-américains sont exposés très tôt, incluant lors de leur développement utérin, à un excès de sucre: les femmes enceintes consomment en moyenne plus du triple de la quantité recommandée de sucre ajouté, ce qui équivaut à plus de 80g par jour, et la plupart des bambins consomment quotidiennement des aliments et des boissons contenant des quantités élevées de sucres ajoutés.
Rationnement de guerre
Il est cependant difficile d’établir précisément un lien direct entre cette consommation élevée de sucre durant la petite enfance et l’incidence de maladies chroniques à l’âge adulte. Des études cliniques qui compareraient l’évolution de ces maladies entre un groupe d’enfants privé de sucre et un autre groupe qui en consommerait à volonté sont évidemment impossibles à faire (et contraires à l’éthique), tandis que l’utilisation de questionnaires pour documenter l’apport en sucre demeure une méthode imprécise qui ne permet pas d’établir de lien causal entre les deux phénomènes.
Le rationnement drastique de la consommation d’aliments sucrés imposé aux Britanniques pendant la Deuxième Guerre mondiale offre cependant une occasion en or de mieux comprendre l’impact du sucre sur le risque de maladies.
À partir de 1940, le gouvernement a imposé des limites quotidiennes de sucre à la population d’environ 40g par adulte et 15g par enfant (ce qui correspond, en gros, aux recommandations actuelles de l’OMS). La levée de ces restrictions en septembre 1953 a déclenché une véritable ruée vers le sucre, si bien que la consommation a doublé en quelques mois à peine pour atteindre 80g de sucre par jour.
Étant donné que la consommation de protéines et de gras n’a pas été significativement modifiée par la fin du rationnement, cette hausse rapide et importante de l’apport en sucre permet d’étudier précisément son impact sur la santé.
Hausse de maladies métaboliques
Des chercheurs ont donc comparé l’incidence de maladies chroniques chez des adultes nés entre octobre 1951 et juin 1954, donc conçus pendant le rationnement, à celle de ceux nés entre juillet 1954 et mars 1956, donc conçus après la fin du rationnement2.
Les résultats sont sans équivoque: comparativement aux personnes conçues après la fin du rationnement, les personnes exposées à un très faible apport en sucre durant leur vie utérine ainsi que durant les deux années après leur naissance présentaient une baisse de 35% du risque de développer un diabète de type 2 et de 20% du risque d’hypertension à l’âge adulte.
Il est intéressant de noter que le tiers de cette protection semble due à la faible exposition au sucre pendant le développement fœtal, ce qui confirme l’extrême sensibilité du métabolisme à la nature de l’alimentation dès les premiers stades de développement, et atteint son maximum lorsque la restriction en sucre persiste pendant au moins six mois après la naissance.
Ces résultats ne sont pas tellement étonnants, dans la mesure où le sucre demeure une substance extrêmement rare dans la nature. Notre métabolisme, qui a évolué pendant des millions d’années dans un environnement pauvre en sucre, est donc complètement mésadapté aux quantités qui sont présentes dans de nombreux aliments consommés quotidiennement, en particulier les aliments industriels ultratransformés. Manger moins sucré est donc un gage de bonne santé, autant pour les grands que les petits.
(1) Gluckman PD et coll. Effect of in utero and early-life conditions on adult health and disease. N. Engl. J. Med. 2008; 359: 61–73.
(2) Gracner T et coll. Exposure to sugar rationing in the first 1000 days of life protected against chronic disease. Science, publié le 31 octobre 2024.